Bienvenue dans ce site destiné à faire perdurer la mémoire du nom ancien des plantes, notamment en patois, autour de chez moi.
Ni linguiste, ni botaniste, mais avec de solides bases malgré tout, j'ai souhaité faire un recueil qui relie un nom ancien à un type de plante ; type qui n'est pas nécessairement un taxon botanique (voir explications plus loin) : d'une part du fait que les noms sont parfois passés d'une plante à l'autre, soit par déperdition ou erreur, soit parce que les conditions naturelles font que telle plante assez similaire à sa cousine va mieux pousser ici que là, d'autre part du fait que l'intérêt de la dénomination n'est pas dans la définition d'une espèce, mais dans un « comportement » de la plante, d'où la nécessité de connaissances agricoles pour pouvoir accéder au pourquoi d'un nom.
Pour qu'il y ait acceptation d'une dénomination, il faut à la fois :
• que le concept soit reconnaissable (or il n'est pas nécessairement donné à tout le monde d'accepter de voir la différence entre des plantes parfois très ressemblantes) : soit on nomme la plante elle-même, soit on nomme une caractéristique, qui sera commune à d'autres plantes (le fait d'avoir des épines, de trainer sur le sol, de faire du lait à la cassure …).
• qu'il y ait un réseau social qui admette et transmette le nom comme étant son patrimoine.
Les informateurs que j'ai questionnés sont tous d'anciens agriculteurs, ce qui expliquera en partie le côté beaucoup plus « agricole » que « médicinal » des plantes ici ; mais l'explication n'est pas suffisante.
Nous relèverons que, d'une manière générale, les noms les plus « français » sont réservés aux plantes les plus utiles (noms qui n'ont pas été relevés ici, le but n'étant pas d'établir un glossaire de tous les noms de plantes) ; ainsi, lorsqu'une plante sauvage co-existe avec une cousine cultivée, il n'existe pas de nom en patois pour la plante cultivée, ou le mot patois utilisé est celui qui est le plus proche du français actuel : ainsi des vesces : les voches sont cultivées, alors que la jarjillerie vient contrarier les moissons ; ainsi des légumineuses fourragères : le trèfle ou la luzerne (pas de mots patois relevés) sont élevés dans la hiérarchie de l'utilité fourragère, voire cultivés, alors que le trouillo (qui correspond pourtant à des trèfles ou des luzernes du point de vue botanique) va se ramasser au coup par coup quand on n'a pas grand chose d'autre, et que surtout il peut vous agacer ; ainsi des graminées : aucun nom patois pour les céréales (juste avène pour avoine, et encore rarement) ni pour les herbes qui font les bonnes prairies : dactyle, pâturin, fétuque, ray-grass anglais … mais des noms pour certaines adventices redoutables, voire pour des herbes juste agacantes et inutiles (les poi d'chin). Charles Millot a été le premier dans la région en 1914, avec son "Dictionnaire du patois de Mancey" (Mâconnais, à 25 km de là), à systématiser la recherche précise du nom latin de la plante citée ; il cite de même pour la gesse : gèche pour la gesse cultivée, pagea pour une gesse adventice des cultures.
Même réflexion pour le nom des arbres : les grands arbres n'ont plus de nom patois (chêne, charmille, châtaignier, le mot châgne -pour chêne- n'a jamais été cité) ; le seul arbre à porter un nom en patois est le fouayar -hêtre-, mais il est peu connu dans la région, il est en limite de répartition naturelle. Par contre, on va trouver beaucoup de noms de patois pour les essences ligneuses de bouchures -les haies-.
Les noms de plantes médicinales ont probablement subi deux phénomènes : l'érosion due à l'absence de réseau social structuré, ainsi que la francisation : la médecine, noble, ne devait pas se compromettre avec le patois. La médecine moins noble des guérisseurs et des sorciers a perduré jusqu'au 19e siècle, mais comment aurait-elle pu prétendre transmettre un patrimoine linguistique ?
Il ne faut pas oublier non plus que conserver pendant deux mille ans un nom à racine pré-latine (et il y a en a sans aucun doute quelques uns) fait preuve d'une certaine volonté de conserver son patrimoine, une certaine résistance au changement, changement qui peut avoir été accepté dans certains domaines mais pas dans d'autres. Je tiens à préciser à ce propos que je suis loin d'être un celto-maniaque, et je suis convaincu qu'il faut toujours rechercher a priori l'étymologie des noms locaux dans les racines latines.
Le patois sur lequel j'ai travaillé correspond à une petite région située en Bourgogne du sud, département de Saône-et-Loire, arrondissement de Chalon-sur-Saône, correspondant en gros à la CCSCC (Communauté de Communes du Sud de la Côte Chalonnaise), soit entre les bourgs de Saint-Gengoux-le-National au sud et Buxy au nord, délimité à l'ouest par la vallée de la Guye.
Cette petite région était encore très reculée et très pauvre au 19e siècle. Tous les informateurs que j'ai questionnés ont connu le travail avec le cheval, tous ont fait les foins à la faux, les plus âgés ont porté des sabots en bois, ils savent ce que c'est que piocher la vigne à la main. La polyculture en petites exploitations y était la règle jusque dans les années 1970 : quelques céréales, un peu de vigne, des prés, quelques vaches, quelques chèvres …
Le patois y est une langue d'Oil, mais des emprunts phonétiques au franco-provençal proche sont possibles (on cite classiquement le mot cabre -la chèvre- comme exemple d'un franco-provençal « aberrant » ; qu'on me permette ici une hypothèse : il est vraisemblable que c'est au moment de l'introduction de la race alpine (fin 18e-19e siècle ?) qu'on a pris le nom « étranger » pour désigner l'animal ; cette race s'est tellement généralisée que son nom est resté). Etonnamment, j'ai constaté que du point de vue du lexique (qui nous concerne ici) certains noms étaient à rattacher à la direction sud-ouest, domaine de l'occitan. Je me suis progressivement intéressé à d'autres patois proches, afin de faire des comparaisons, des filiations. Les premiers "onglets" du site concernent des données récoltées actuellement : moi-même directement, par entretiens, ainsi que quelques données du lexique du patois de Culles-les-Roches de Bernard Veaux (noms de plantes que j'ai dû affiner). J'ai rajouté en fin de site (chapitres "déjà oubliées") certaines « entrées » obtenues uniquement par la bibliographie, et parfois à plus de trente kilomètres de la petite région privilégiée ; cela permettra peut-être un jour de tirer une ficelle et de faire venir un témoignage plus tardif. On verra donc des références à la Bresse, au pays du « Tseu » (Charollais-Brionnais), à la région de Gueugnon … Cela permettra de rendre accessible une petite partie du volumineux et richissime "Atlas linguistique et ethnographique de Bourgogne" établi par Gérard Taverdet entre 1975 et 1988, et qui dort dans les bibliothèques.
Plus aucune personne de 40 ans ne connait ces mots : carboui, borégie, alâgres, rônées, yâches, ch'nique, tartevale, dont certains sont tout à fait originaux et n'avaient pas encore été publiés.
Outre la richesse linguistique de par sa position comme zone de transition entre les parlers du nord, du centre et du sud, le sud de la côte chalonnaise est passionnante pour la recherche de noms de plantes en patois, au vu de sa richesse en unités agro-écologiques différentes ; qu'on s'en fasse ici une idée : sur quelques kilomètres, de l'est vers l'ouest, et donc de la plaine vers le sommet de la côte (de Saint-Boil à Culles-les-Roches), nous trouverons successivement en suivant une reculée qui s'enfonce dans la côte :
une plaine à alluvions argileuses contenant des enclaves extrêmement sableuses, où alternent cultures et prés de fauche, les mares y étaient courantes mais ont souvent disparu ; un calcaire compact blanc à sol mince dont une partie est en pelouse calcaire embroussaillée ; des buttes à silex (chailloux) occupées soit par la vigne soit par des bois ; des vignes sur calcaire blanc en plaquettes (crâ) ; du flanc de coteau argilo-calcaire à exposition est à sud, la plus favorable à la vigne ; une vallée assez humide en pâtures où les bouchures -haies- sont encore très présentes, des petites falaises calcaires formant le rebord du plateau (domaine des chaumes -pelouses calcaires- et des feurtaches -broussailles-) ; des bois de belle qualité en flanc nord sur affleurements granitiques, puis sur calcaires ; un plateau gréseux occupé par un bois rachitique ; des terres argileuses acides et souvent engorgées situées en hauteur.
Une remarque peut être faite après lecture de certains noms de plantes : à part sur les « chaumes », où la déprise agricole a été très favorable à la biodiversité, la nature s'est uniformisée sur l'ensemble du domaine cultivé : plusieurs plantes qui avaient un nom en patois, qui étaient donc courantes, ont quasi disparu en un demi-siècle : les chapelets, les tindrons … Les copos qui étaient si courants partout doivent être recherchés patiemment. La jarjillerie n'est pas le même espèce qu'avant. Et bien évidemment, comme partout en France, on cherchera en vain à photographier dans leur milieu des niôles.
On pourra être surpris par la présence dans le chapitre "d'la denrée" (nettement péjoratif) de plantes comme le bouton d'or, le coquelicot, le rhinanthe, jolies fleurs des champs dont les promeneurs font des bouquets ; j'ai voulu ainsi faire un acte de mémoire en rappelant que le temps n'est pas si lointain où le paysan devait se battre contre une nature qui ne lui faisait pas beaucoup de cadeaux.
Un élément étonnant s'est invité dans cet inventaire des noms anciens : deux noms typiques de la Saône-et-Loire se retrouvent au … Québec ! La vesce sauvage, jarjilli, jarjillerie chez nous, se dit là-bas jargeau ; le chougra nomme ici le rumex et dans le Morvan le chénopode, au Québec c'est le chénopode.
Bien entendu, j'ai été aidé dans cette compilation par tous ceux qui ont déjà travaillé sur la question. Ainsi que par la technicité d'internet et des moteurs de recherche, qui mettent en relation entre eux d'obscurs « chercheurs » anonymes comme moi.
Merci en particulier à Gérard Taverdet pour ses fameuses études sur les patois de Bourgogne. Merci à Michel Desfayes pour sa compilation de noms de plantes sur internet. Merci à Roland Mogn et à son équipe de PlantKelt, fabuleuse base de donnée numérique qui m'a beaucoup aidé.
Que soient remerciés ici pour leur contribution, directe ou indirecte :
Bernard Veaux, ex-président du Syndicat d'Initiative de Culles-les-Roches, qui a établi un glossaire du patois de Culles contenant certains noms de plantes.
René et Jeannine Derain, à Culles-les-Roches.
Jean et Jeannine Cognard, à Fley.
Bernard Vachet, à Saint-Boil.
Henri Legros, à Etiveau, qui a notamment conservé un herbier de son grand-père fait en 1899.
Yvonne et Robert Joblot à Montagny-lès-Buxy.
M. et Mme Marc Picard à Saules.
Joseph Foret à Saules.
Gilles VALENTIN-SMITH, juillet 2016
Allez consulter également mon autre site : http://plantes-idees-recues.e-monsite.com
Mars 2018 : après avoir commencé en Saône-et-Loire, j'ai continué à répertorier au niveau national les noms de famille probablement issus de noms de plantes de toutes régions de France ; le résultat est allé au delà de mes attentes : http://noms-de-famille-plantes.e-monsite.com.
Un taxon est une unité de classification ; rappelons qu'en botanique, on descend de plus en plus précisément en allant de la famille, au genre, à l'espèce, voire à la sous-espèce.
Pour la plupart des noms locaux il a été possible d'étiqueter au minimum un nom de genre, allant même une fois jusqu'à la sous-espèce, la confusion reste pour certaines plantes comme les train-nèches, ou encore les poi d'chin qui correspondent à des taxons différents car leur nom évoque un comportement.